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A l’écoute des objets : un vinyle et l’héritage de l’Algérie coloniale

En 2024, le cours « Mémoire et politique », dispensé en master 1 par Ewa Tartakowsky (CNRS) au Nouveau collège d’études politiques, a été intitulé « À l’écoute des objets. Mémoires et migrations ». Son objectif était d’articuler la réflexion de la recherche, de la conservation des archives et de la création. À partir d’une réflexion sur les objets conservés à La Contemporaine, les étudiant·e s ont mené un travail créatif en proposant une réflexion sur « le son » des objets d’archive, ce qu’ils nous disent et éveillent en nous aujourd’hui. Cette réflexion s’est concrétisé par la production de documents sonores à partir des objets liés à la migration.
Ce cours a bénéficié du soutien de l’Université Paris-Nanterre, accordé dans le cadre du programme Science avec et pour la société.

Retrouvez ici le site dédié au projet.

Le vinyle, support emblématique de la diffusion musicale, conserve et transmet une mémoire à la fois artistique et historique. Nous avons étudié un 45 tours de chants militaires et patriotiques (La Marseillaise, L’Ajaccienne, Le chant des soldats d’Algérie, Les Africains), interprété par Tony Valery et distribué par l’Association des Combattants de l’Union Française, qui regroupait des anciens combattants liés aux colonies françaises.

Disques 45 tours de l’Association des combattants de l’Union française (coll. La Contemporaine, ARCH/0055/1)

Cet objet nous a conduits à explorer des archives déposées à La Contemporaine par Suzanne Robin-Parasoli, un fonds traitant exclusivement de l’OAS. L’OAS, organisation clandestine fondée en 1961, défendait la présence coloniale française en Algérie. Nos recherches ont révélé un lien entre cette organisation et l’Association des Combattants de l’Union Française, présidée par le général Raoul Salan, également dirigeant de l’OAS.

La pochette du vinyle est particulièrement significative : elle représente une carte de l’Algérie française avec son découpage colonial, surmontée d’une croix de Lorraine reliant l’Algérie, la Corse et la France. La Corse était perçue comme une base stratégique pour un éventuel renversement de la République, tandis que la mention du Sahara rappelle son rôle sous administration militaire, notamment pour les essais nucléaires et l’exploitation pétrolière.

Ce vinyle s’inscrit dans le contexte de 1961, une Algérie en guerre, fracturée entre différentes mémoires : des harkis, des appelés, des militants du FLN, des membres de l’OAS, des pieds-noirs, des Juifs algériens. Il témoigne d’une mémoire partisante, celle des défenseurs de l’Algérie française, portée par une organsation prête à la violence pour préserver l’ordre colonial. La musique y est instrumentalisée à des fins de propagande. Conserver et étudier cet objet permet d’analyser les mémoires dont il est porteur et de les inscrire dans une approche critique de l’histoire.

Dans notre capsule sonore, nous avons cherché à restituer notre enquête historique depuis la découverte du vinyle, jusqu’à son analyse en archives. L’ouverture s’appuie sur le son du disque placé sur une platine, suivi de La Marseillaise et d’extraits d’une émission de l’OAS, servant à introduire le sujet de la guerre d’Algérie. Une voix extérieure rythme la narration en rappelant la date (1961), le lieu (Algérie) et l’objet (OAS). Nos premières réflexions sur le vinyle s’entrelacent avec des bruits de papiers et d’archives, établissant un premier lien avec le général Salan.

Nous poursuivons avec l’évocation de Suzanne Robin-Parasoli, en nous interrogeant sur son identité et son rôle. Un brouillage sonore du vinyle traduit nos incertitudes. Nous évoquons également notre recherche sur son supposé mari et notre tentative, infructueuse, de la retrouver avec l’aide des archivistes de La Contemporaine.

Une seconde interruption du vinyle marque l’entrée dans un nouveau chapitre, accompagné d’une musique d’époque, pour recréer l’ambiance sonore de l’Algérie de 1961. L’historienne Sylvie Thénault apporte un éclairage précieux sur la diffusion et la réception de ce disque, dont l’audience était majoritairement composée de membres de l’OAS. Il ne s’agissait donc pas d’un objet de grande consommation mais probablement d’un support d’écoute interne à l’OAS.

L’Ajaccienne, deuxième morceau du vinyle, ouvre une réflexion sur la place de la Corse et du Sahara, tous deux mentionnés sur la pochette. Là encore, Sylvie Thénault commente l’iconographie du disque et la complexité des témoignages sur la guerre d’Algérie. L’impossibilité de contacter Suzanne Robin-Parasoli reflète la difficulté d’accéder aux récits de cette époque. La capsule se conclut par une superposition des voix, illustrant pluralité et les tensions des mémoires en jeu, avant de laisser place au crépitement du vinyle en fin de lecture, une métaphore d’une mémoire qui se répète et s’entrelace.

Au-delà du simple objet sonore, ce 45 tours devient un témoin, un artefact d’une époque, capable de faire revivre des tensions d’une époque. Au-delà, c’est aussi notre propre histoire qui résonne dans cette enquête. Nos origines, marquées par les liens de nos familles avec l’Algérie, viennent s’entrelacer à cette guerre. Le vinyle, témoin d’un passé où la violence coloniale et les luttes pour l’indépendance se sont affrontées, réveille en nous un écho, celui de mémoires croisées, partagées, souvent conflictuelles. Ainsi, l’étude de cet objet ne se limite pas à une simple lecture historique ; elle invite à une réflexion sur la transmission des mémoires et sur la manière dont elles façonnent nos identités contemporaines.

Amélie Bouyssou, Rachel Garnier, Angèle Mackowski et Tamara Oulahbib

Bibliographie

Entretien avec Thénault Sylvie, réalisé le 24 septembre 2024. 

Kauffer Rémi, OAS, histoire d’une guerre franco-française, Paris, Seuil, 2002.

Manceron Gilles, « Mémoire et guerre d’Algérie », La Revue des droits de l’homme [Online], 2012, n°2, http://journals.openedition.org/revdh/252.

Pervillé Guy, « L’Algérie dans la mémoire des droites », in Jean-François Sirinelli (dir.), L’Histoire des droites en France, t. II, Cultures, Paris, Gallimard, 1992, p. 621-644.

Savarese Éric, « Après la guerre d’Algérie : La diversité des recompositions identitaires des pieds-noirs », Revue internationale des sciences sociales, 2006/3, n° 189, 2006, p. 491-500.

Thénault Sylvie, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion, 2005. Thénault Sylvie, « Négation de la guerre, terrorisme et exception : Abderrahmane Taleb et la Guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », Histoire Politique [Online], n° 45, mis en ligne le 01 octobre 2021, http://journals.openedition.org/histoirepolitique/1819


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
LC Admin (19 février 2025). A l’écoute des objets : un vinyle et l’héritage de l’Algérie coloniale. La contemporaine. Bibliothèque, Archives, Musée des mondes contemporains. Consulté le 19 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cax


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