Les archives de l’exil et la dissidence : compte-rendu d’une journée de travail

Le projet DISSINVENT, porté par La contemporaine et l’Université de Paris et soutenu par un important réseau d’institutions partenaires, vise à identifier et valoriser les collections documentaires produites par les dissidents et exilés d’Europe de l’Est venus en France entre 1945 et 1991, tout en développant une réflexion sur la particularité de ces corpus et leur histoire et en mettant en réseau les chercheurs et les professionnels de la documentation. Dans sa première phase entamée en novembre 2020, le projet a identifié une trentaine de fonds d’archives et collections documentaires. Dans la deuxième phase du projet, l’équipe de DISSINVENT développe un travail méthodique de diffusion et valorisation de ces collections qui inclut une stratégie de communication à travers le carnet en ligne de La contemporaine et le compte Twitter du projet, mais aussi la production d’articles Wikipédia et l’organisation d’événements au sujet de l’histoire de la dissidence de l’Est et la conservation de son patrimoine archivistique.


Le vendredi 19 novembre 2021, un peu plus d’un an après le démarrage du projet DISSINVENT, a eu lieu la journée de travail « Gérer l’héritage archivistique de l’exil et de la dissidence d’Europe de l’Est » à La contemporaine. Cette rencontre, organisée par Sophie Cœuré, coordinatrice scientifique du projet DISSINVENT et Agustin Cosovschi, chargé de mission sur ce même projet, avec La contemporaine, réunissait les principaux partenaires français du projet et quelques institutions étrangères impliquées sur le terrain de la recherche sur les dissidences. Elle a permis notamment de partager les premiers résultats de DISSINVENT avec la communauté des chercheurs et professionnels de la documentation en France. Mais les discussions et les échanges ayant eu lieu à cette réunion ont aussi montré l’intérêt de continuer fournir des efforts afin d’assurer la survie des collections documentaires de la dissidence de l’Est, notamment en raison de la disparition progressive des producteurs de ces collections et du manque de moyens de certaines associations et institutions qui se sont traditionnellement chargées d’assurer leur conservation et qui souvent ne sont pas en mesure d’entamer des stratégies de numérisation pour pérenniser l’accès  à ces archives.

La première partie de la journée a été consacrée à une table ronde portant sur les stratégies de valorisation des collections de la dissidence de l’Est en France. Elle réunissait les trois principaux partenaires français du projet : La contemporaine, la BULAC et l’Institut d’études slaves.
Florence Chapuis (BULAC) a décrit les collections liées à la dissidence a la BULAC, les stratégies de valorisation et de dissémination de cet établissement en soulignant notamment le Plan de Conservation Partagée pour les périodiques (une initiative qui permet un meilleur signalement des périodiques d’Europe centrale et orientale et facilite donc le travail de repérage des titres en lien avec les dissidences) et le besoin de renforcer le travail plurilingue sur l’environnement Wikipédia. Ensuite, Sylvie Archaimbault (IES) a présenté le projet de numérisation NUMERISLAV et décrit les collections conservées à l’Institut d’études slaves, entre autres celle d’Hubert Ripka, celle de Nikolaj Lossky et celle de Vladimir Peska. Ce projet a pour objectif de développer un outil, hébergé sur Humanum, de valorisation des principaux fonds d’archives conservés par l’Institut d’études slaves et qui couvrent la période 1920-1960 (pour plus d’information, voir ce billet).
Enfin, pour La contemporaine, Céline Lèbre et Salomé Kintz ont discuté de la stratégie de valorisation des sources de la dissidence identifiées dans le cadre de DISSINVENT. Cette stratégie s’appuie sur des outils déjà utilisés, dans le cas de La contemporaine et de la BULAC, pour améliorer la visibilité de leurs collections auprès des chercheurs : production de notices de fonds dans le cadre du projet de cartographie CollEX, travail sur l’environnement Wikipédia (enrichissement ou création de notices, contributions à Wikidata) et enfin, différents outils destinés à « hameçonner » les chercheurs en ligne, notamment Twitter et les carnets de recherche hébergés sur la plate-forme Hypothèses.org pour les chercheurs français.

La deuxième partie de la journée a été consacrée aux collections documentaires liées à la dissidence de l’Est à l’étranger, en croisant le point de vue de chercheurs et de témoins de la dissidence.
Tamás Scheibner a exposé les résultats du programme de recherche COURAGE, en présentant le site internet du projet et les outils d’exploitation des données de collections dans la recherche et l’enseignement. Ce projet a identifié plus de 500 collections dans des universités, centres d’archives et bibliothèques en Europe et a donné lieu à un site internet qui croise les entrées par collections, organisations, personnes. Il reste une référence obligée pour ceux qui travaillent sur l’histoire des archives de la dissidence de l’Est. Mais les collections conservées en France sont dans la plupart des cas absentes de ce programme et la collaboration qui s’est établie avec Agustin Cosovschi dans le cadre de DISSINVENT permettra de combler cette lacune.

Courage Connecting collections

Ensuite, Anastasia Felcher, responsable des collections Slaves aux Open Society Archives, fondation créée par Georges Soros et hébergée par la Central European University à Budapest, a fait une intervention en ligne pour présenter les archives de Radio Free Europe/Radio Liberty. Ces archives souvent méconnues en France, sont pourtant essentielles pour l’histoire de la Guerre froide, notamment pour comprendre les modes de circulation de l’information dans le contexte de l’Europe divisée par le rideau de fer. Anastasia Felcher s’est notamment concentrée sur l’exploration du site des archives OSA et de leur catalogue qui comprend aussi des milliers de sources numérisées.

Enfin, l’intervention de Sacha Koulaeva, membre de Memorial France, sur le parcours de sa mère, Noemi Bovitnnik, et l’histoire de ses archives a posé la question des liens entre institutions documentaires, chercheurs et acteurs de la dissidence. N. Bovitnnik a toujours eu le souci de préserver les archives de la dissidence dont les samizdats qui paraissaient clandestinement, dans un contexte de répression et de persécution. Ses propres archives sont aujourd’hui éclatées en trois parties : une partie déposée auprès de Mémorial à Moscou, une deuxième partie au Centre d’études d’Europe de l’Est à Brême et ses archives personnelles restées au sein de sa famille. Sacha Koulaeva a montré par exemple des photographies de son enfance en Russie dans les années 1980 qui constituent une source précieuse sur les cercles dissidents gravitant autour de sa mère.

Les discussions et échanges lors de cette réunion ont été fort productifs. Les intervenants ont échangé entre eux et avec le public sur le besoin d’assurer la survie des archives de dissidents précisément maintenant, car une partie de la dernière génération des dissidents et exilés est en train de s’éteindre et la conservation de leurs archives n’est pas assurée. Les discussions ont abordé les difficultés de valorisation des archives quand celles-ci sont conservées par des institutions ou associations qui manquent de moyens matériels et humains, comme c’est le cas de nombreuses associations culturelles, ou quand elles dépendent majoritairement du financement venu des pays de l’Est qui souvent favorisent aussi le rapatriement des archives dans les pays d’origine de leurs producteurs. Dans le contexte des poursuites judiciaires à l’encontre de l’association Mémorial en Russie, ces questions deviennent encore plus urgentes.

Somme toute, cette journée de travail a montré l’intérêt de continuer à fournir des efforts pour augmenter la visibilité des collections documentaires de l’exil et la dissidence d’Europe de l’Est en France. Elle a marqué un point important dans le progrès du projet DISSINVENT et nous espérons qu’elle permettra de continuer à développer des efforts conjoints visant à la préservation de cette partie essentielle de l’héritage archivistique du 20éme siècle français. Les discussions lors de cette journée ont aussi renforcé la conviction que le travail fait dans le cadre de projets comme DISSINVENT doit rester accessible aux chercheurs au-delà de la fin du projet.

Agustín Cosovschi


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